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Les interviews

Quand le Dada entre dans la danse

Rencontre avec Brigitte, Denis et Christophe de La Compagnie Pied en Sol

Pendant une semaine, Pied en Sol a établi son cabaret à Plouégat-Guérrand. Deux rencontres avec les écoles, trois représentations publiques, la semaine de création a été chargée. C’est peut être le moment de faire le point avec eux sur cette création qui va chercher ses inspirations un peu partout, surtout partout. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, c’est sous le soleil que les trois Pied en solistes m’accueillent pour l’entretien.

Tout d’abord pouvez vous vous présenter...

Denis : je suis danseur depuis l’âge de 15 ans et je n’ai fait que ça de ma vie. J’ai fait beaucoup de choses au niveau de la danse contemporaine un peu en autodidacte. Dans un premier temps j’ai eu une formation en danse traditionnelle, parce que je suis de Bretagne, donc je me suis intéressé au territoire et à la culture bretonne. Et puis après vers 16 ans j’ai découvert la danse contemporaine qui m’a beaucoup plu, mais sans renier la culture bretonne. Ma première compagnie, était justement inspirée des traditions celtiques, avec toute une recherche entre la modernisation et la danse traditionnelle. On essayait de remettre un petit peu les pendules à l’heure par rapport au monde d’aujourd’hui vis à vis de la tradition. Et après ça a été Pied en Sol que l’on a monté avec Brigitte en 94. Et on est allé carrément sur un autre univers, on a lâché le celtique et on est parti à la recherche d’autres façons de penser. Dans les premiers temps de la compagnie, on était chorégraphes tous les deux et en 98 on s’est intéressé à la rue avec un duo qui s’appelle Chemin faisant. Maintenant ça fait une dizaine d’années qu’on est dans des projets de rue, avec en tout 8 créations de différentes formations : solo, duos, quatuor... Et puis ça continue.

Christophe : je suis professeur de musiques actuelles au conservatoire de Redon, et je partage ce temps avec les spectacles, les groupes et notamment la compagnie Pied en Sol dont je fais partie depuis maintenant trois ans. On a crée ensemble Rue Taquin dont la première a eut lieu il y a trois ans à Morlaix. Et là avec Brigitte et Denis on en est à notre deuxième création ensemble.

Brigitte : moi je suis compagne de vie de Denis, avec qui je danse depuis 25 ans. J’ai à l’origine un parcours en danse contemporaine. On s’est rencontré avec Denis dans cette première compagnie, j’ai fait ce travail autour de la tradition celtique pendant une dizaine d’années. Et puis à un moment on a eu envie de changer, d’aller sur notre propre travail, de voir ce que nous deux on avait envie d’écrire. Et on a lancé Pied en Sol. Et très rapidement on est arrivé dans la rue, et c’est là pour nous un vrai écho à notre travail chorégraphique.

Et pourquoi justement ? Qu’est ce qui vous plait dans la rue ?

Brigitte : c’est la rencontre au public. C’est à la fois toute la difficulté et ce paradoxe là, c’est-à-dire qu’un regard, car ce n’est pas mille regards, c’est un regard de spectateur qui peut te traverser, te transporter. C’est le fait de danser entre ciel et terre, tu as cette dimension de verticalité qui est assez extraordinaire et tout le travail de proximité avec le public.

Denis : ce qui est intéressant aussi c’est d’être dans différentes rues, villes, communes, pour différents volumes, différents publics. Des publics très différents les uns des autres, des publics qui connaissent bien le spectacle d’art de rue, d’autres pas du tout et c’est ça qui est intéressant, à chaque fois pour nous il y a différentes façons de rentrer en communication avec le public et les habitants. Là par exemple à Plouégat-Guérrand c’est une découverte, on a rencontré l’équipe municipale, des habitants, comme ça dans la rue. C’est convivial et c’est ça qui est intéressant, cette espèce d’approche qu’on ne voyait jamais quand on a commencé la danse, parce qu’on était toujours dans nos salles, enfermés dans une boite noire. Entre une salle de répétition et une scène ouverte c’est un monde vraiment différent. Ce qui est attrayant c’est ça, même s’il n’y a pas que ça qui nous attire, mais ça fait parti du jeu.

Comment vous est venue l’idée de travailler sur le dadaïsme, c’est le fait que ce soit ouvert à tout les possibles ?

Christophe : la première chose, c’est qu’on a fait une création Rue Taquin ensemble. Et quand on a eu envie de refaire un travail à trois, il fallait de toute façon que ce soit différent. Alors on a commencé par se dire ce qu’on ne voulait pas refaire et ce qu’on n’avait pas fait jusqu’ici et qui vu nos âges avancés, il était grand temps de faire. Donc entre autre dans les critères de départ, il y a le fait que Brigitte et Denis doivent participent à la création de l’environnement sonore et éventuellement de la musique, que de mon côté aussi j’intervienne corporellement dans l’histoire. On voulait aussi que ça ne soit pas une histoire d’un couple de danseur avec un musicien qui accompagne. Du coup ça faisait déjà du ménage dans les propositions.

Brigitte : au départ on voulait travailler sur le thème du bal en partant du film d’Ettore Scola Le bal. Mais on avait peur que ça nous ramène encore à une histoire qu’on avait déjà traversée, une histoire de couple de danseur. Donc on a commencé à chercher sur internet, on a tapé « bistro », « bastringue » et là on est tombé sur le Cabaret Voltaire. Et là quand on a lu ce qu’était le Cabaret Voltaire on s’est dit c’est ça ! Et on voulait aussi retravailler une écriture contemporaine, donc on a trouvé que c’était idéal, c’était très ouvert. Et au niveau de la création ça a été vraiment passionnant. Tout ce qu’on a pu développer ou aller chercher, fouiller, c’était vraiment super.

Christophe : ça nous a donné plus qu’un cadre artistique, ça nous a surtout donné une façon de travailler, une façon d’entamer cette création, notamment au moment de la danse.

Denis : moi ce qui m’a plu dans le dadaïsme, c’est que les peintres de l’époque se sont mis à créer une autre façon de mettre en tension leurs peintures ou leur expression. C’est de la matière. Ce n’est pas que de la peinture ça pouvait être des objets, des choses qui tout d’un coup devenaient surprenantes sur un tableau. Donc on s’est dit, à travers la danse on va peut être pouvoir chercher de la matière. On est partis d’une chanson, d’un texte, d’une image, et avec ça on a obtenu des thèmes, des partitions chorégraphiques,. Tout ça grâce à des matières différentes. On a eu du coup un tas de mouvements qu’on a mis en banque et puis on a essayé de voir comment on pouvait faire pour les mélanger. C’était vraiment intéressant parce qu’il y a eu une multitude de choses possibles. Donc il y a eu ces deux fonctionnements, d’abord aller rechercher des mots, aller rechercher des images, des chansons de la musique, et ensuite commencer à faire un tableau, brouiller des pistes. On ne voulait pas tomber dans quelque chose qui soit un récit avec un début, un milieu, une fin. Même si il y en a, mais ce n’est pas une histoire construite. Et du coup ces matières là elles se sont mélangées.

Christophe : quand on a décidé d’aborder cet environnement dada, on n’avait pas la prétention de faire du dada, mais plutôt d’utiliser les techniques de travail du dadaïsme, à savoir le découpage, le collage, le tirage au sort. Le fait de juxtaposer des choses qui à priori n’ont rien à voir plutôt que de partir d’une esthétique, comme ce qu’on a pu faire dans des spectacles précédents, partir d’un type de danse, d’une narration. Là c’était vraiment la méthode assez ludique et du coup nouvelle pour nous, de réinvestir ça dans notre travail, pour nous provoquer nous même. C’est ça aussi l’intérêt pour nous d’être dans la rue, c’est de toujours ce remettre en question. Dans la création d’un spectacle, et même dans un spectacle dont on a l’impression qu’il est crée, il continu à vivre et il continu à être questionné par le rapport au public.

Cette manière d’aborder la création, c’est nouveau pour vous ?

Brigitte : on avait un peu abordé ça dans Filigrane fanfare, à partir de partitions. Mais là ce qui était vraiment super c’était toutes les sources d’inspiration que l’on a eu pour créer et on pourrait encore continuer.

Christophe : il y a des choses qu’on n’a pas évoqué, qu’on a mis de coté parce qu’on ne pouvait faire toutes les propositions en 50 minutes. Mais c’est vrai qu’on a pris beaucoup de plaisir dans la première phase de création et du coup la grande question ensuite ça a été comment on va mettre tout ça en forme.

Brigitte : et puis à quoi ça va ressembler ? Donc du coup on a fait appel à un metteur en scène qui nous aide un peu à mettre un espèce d’ordre là dedans parce que c’était très complexe de savoir ce qu’allait donner vraiment le spectacle.

Christophe : et c’est pour ça que c’est important des rencontres avec le public. Comme il n’y a pas de narration à proprement parler dans l’histoire, ça nous permet si on le souhaite d’inverser les ordres, d’enlever un numéro et de le remplacer par un autre. Là dessus on n’a aucun souci, et on a besoin maintenant de ce retour avec le public pour voir quelles sont les pistes à conserver, à retravailler, à changer...

Et pour toi Christophe, comment ça s’est passé ce passage à la danse, Brigitte me disait en plus que tu as été interdit de guitare électrique, ça fait beaucoup de changements...

Christophe : ça faisait partie effectivement des critères imposés. Interdiction de faire ce qu’on avait déjà fait, donc sur Rue Taquin j’étais à la guitare électrique et au chant. Et comme on m’a interdit d’utiliser ça et bien j’ai vidé ma chambre et j’ai ramené tout ce que j’avais d’autre. J’avais envie d’utiliser des machines. Là j’utilise une groove box, aussi pour donner un côté un peu plus musclé, plus électro dans la création. Sachant que dans le dernier spectacle Rue Taquin, l’ambiance était plus rock, Chemin faisant c’était plus guinguette avec l’accordéon, là moi j’avais envie à mon tour de provoquer un peu Brigitte et Denis en amenant cette machine et ces petites touches de musique électronique. J’utilise encore la pédale de boucle mais elle nous sert d’une autre manière. Elle nous sert un peu de jukebox. Et puis j’ai récupéré également le saxophone et les petites percussions. L’autre aspect qui est assez important dans l’histoire c’est la bande son sur laquelle on a travaillé avec Fred Rénno notre metteur en scène pour vraiment plonger le spectacle dans une ambiance et que se ne soit pas seulement un musicien qui fasse une partition musicale, mais qu’on ait vraiment toute une ambiance sonore.

Vous travaillez beaucoup avec les scolaires, j’ai vu que vous travailliez avec une classe de la cité de Beaumont à Redon...

Brigitte : oui en fait au départ on avait joué à Beaumont Rue Taquin et Ramoneur. Et puis il y a eu quelque chose qui s’est passé en particulier avec cette classe et donc on leur a proposé de venir nous voir à deux étapes de travail. La première où on n’avait que des bouts de pleins de trucs, on leur à expliqué ce que c’était le dadaïsme. Une première rencontre qui nous a d’ailleurs beaucoup apporté dans notre travail à nous. Et une deuxième séance, après la présence de Fred Rénno, où on a fait des bouts de filage en expliquant comment on avait rassemblé les choses. Et la semaine prochaine, ils nous accueillent dans la cour de l’établissement pour qu’on puisse présenter là où on en est dans le Cabaret dada.

Vous avez eu deux rencontres avec des classes de Plouégat-Guérrand pendant cette semaine de résidence, ça vous plait de pouvoir travailler avec des scolaires, qu’ils puissent s’impliquer comme ça dans une création ?

Denis : il y a un retour qui est vraiment direct. Les enfants disent les choses sans arrière pensée, ils peuvent avoir des mots qui vont nous mettre en réflexion, et à tout âge. Pendant cette résidence, il y a des enfants qui ont dit des choses soit sur les costumes, soit sur les morceaux de musique ou la façon de bouger, et d’autres, des plus grands, comme à Beaumont, sur la durée de tel ou tel tableau. Et qui nous disent c’est étrange, c’est bizarre et donc on essaie de discuter avec eux, de savoir pourquoi c’est bizarre, voir ce qu’il y a derrière ces mots, et c’est très intéressant. Là on va revoir les élèves de Beaumont, on va voir si leurs questionnements sont toujours là ou pas.

C’est intéressant ce genre de rencontres comme ça sur la durée d’une création...

Brigitte : oui et qui sont étalées. Pour nous c’était la première fois qu’on accueillait comme ça une classe sur un réel processus de création, c’est-à-dire par où on passe nous, quelles sont nos étapes, et où on en est aujourd’hui et où ça va aller sans doute demain. J’ai trouvé ça génial. Et pour en revenir avec la rencontre avec les enfants de Plouégat-Guérrand, moi j’ai quand même été sacrément étonnée. Parce qu’à la base on peut se dire que le dadaïsme et ce qu’on propose ce n’est pas du tout du tout fait pour les enfants. Et je trouve qu’il y a eu une écoute, une réception... Après quand on répétait les enfants venaient spontanément nous dire bonjour, nous embrasser... Moi j’ai été très heureuse de cette rencontre là et de cette qualité de rencontre.

Christophe : les enfants c’est un public très pertinent parce qu’ils n’ont pas encore de codes liés au spectacle, ils ne sont pas formatés. Et là en plus il y avait le fait qu’on les accueillait à venir nous voir travailler avant qu’ils ne voient le spectacle. Et plutôt qu’une rencontre « frontale » où ils viennent voir le spectacle et ils repartent, là ils sont venus voir des personnes avant de voir un spectacle. on l’a bien ressenti dans les échanges qu’on a eu par la suite. Et puis aussi Brigitte et moi on a fait beaucoup d’interventions dans le milieux scolaire. C’est quelque chose qui nourrit aussi notre pratique artistique et c’est vraiment une relation dans laquelle on se retrouve.

Vous avez participé la semaine dernière au Printemps des Jeunes Talents à Redon, c’est important pour vous de jouer chez vous ?

Brigitte : on arrive à jouer assez souvent à Redon, donc c’est assez chouette parce qu’on est quand même chez nous. On fait souvent des répétitions publiques en rue, il y a une rencontre avec les habitants qui se fait plusieurs fois dans l’année et dans des cadres différents.

Christophe : et dans la relation qu’on a eu avec les habitants de Plouégat-Guérrand, pendant cette résidence. Je pense que c’est important aussi que les artistes montrent leur travail, leur façon de travailler. Il y a des gens qui étaient étonnés de voir qu’on passait autant de temps à répéter. Il faut que les artistes et notamment les artistes de rue, parce que là c’est la réalité du boulot, montrent vraiment comment ça se passe. Pour que le public n’ai pas seulement cette vision de l’artiste un petit peu dilettante qui vient faire son petit show et qui repart. C’est vraiment un boulot, nous c’est comme ça qu’on le vit, comme ça qu’on veut le défendre. Comme expliquait Brigitte aux enfants, leurs parents sont agriculteurs, boulangers... nous on est danseurs et c’est notre métier.

Un souhait pour la suite ?

Brigitte : que le cabaret rencontre son public. Nous on est très heureux de ce travail là, après quel accueil ça va avoir au niveau du public... En tout cas ce qu’on défend, c’est d’amener ce côté contemporain dans les arts de la rue.

Une escapade dadaïste sous le soleil de Plouégat-Guérrand, un grand merci à tous les trois. Vous retrouverez la Compagnie Pied en Sol au Far de Morlaix, accompagnée par LeTatoum, pour une autre création 2009, ... Mènent la danse

Plus d’infos, c’est par ici :
- Le site de la compagnie
- Le résidence sur le site du Fourneau

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